7 novembre 2010

Garrel, le Révélateur 2/2

La date d'élaboration de ce film (1968) incite nécessairement à la glose, aux constats. Le regard que porte Garrel à la structure familiale est dénué d'angélisme. Le Révélateur file la métaphore sociale, qui, dans un climat moins politique, tiendrait presque de l'allégorie.
Cet angle d’approche, certes pertinent, ne me concerne pas. J’apprécie en Garrel son lyrisme singulier, son sens des mouvements de caméra, la photogénie particulière des lieux et des gens. La force de l’ombre me touche: elle n’est pas lacunaire mais fortement habitée. Le noir n’est pas le vide, il est un vecteur de l’imaginaire, de la narration alliée à celle supposée du spectateur. Ce tissage s'élabore fougueusement, sans effort apparent, sous nos yeux...
Philippe Garrel avait vingt ans. Sa vocation évoque celle des peintres de la Renaissance ou de l’époque baroque : nés dans le sérail, formés à leur inclinaison dès leur plus jeune âge, artistiquement mûrs quand d’autres sortent à peine de l’œuf et capables dès leurs débuts d’accomplissement. D’aucuns nommeraient cela l’audace, mot terne et superficiel. Le temps, l'usure et d'autres apprentissages n'ont pas eu le temps de s'insinuer entre le médium et son message. Le cinéma coule en lui, évident, et le prend qui veut. Ceux qui tentent aujourd’hui de créer peuvent lui envier cette adéquation entre urgente nécessité et acuité formelle.
Cette expérience filmique me rappelle pour ma part la scène nocturne de L’Aurore et les ultimes tableaux fantomatiques du Caravage. Le titre ambivalent confond la technique photographique, chimique, et l'âpreté des relations humaines. On pense à la mélaînè cholè, bile noire de Galien. Le cinéaste parvient à insuffler un lyrisme sans pour autant masquer les rouages. Vie et cinéma ne font plus qu’un.