29 juillet 2010

UN SONGE: Une Main, partie pour le tout 2/5

Je ne possède aucune preuve tangible d'une familiarité ponctuelle entre l'auteur de Chéri et le créateur de l'Informe*. Le rapprochement semblerait improbable aux spécialistes et la réalité historique me donne tort: le recueil de Colette fut publié en 1924 et le célèbre article de Bataille en 1929. Cette proximité que je m'accorde est subjective: ces liens sont autant de sources aux propriétés vivifiantes, de confluences exaltantes ...pour moi!
La Main, courte nouvelle, concentre des moyens littéraires dont la métaphore, obtenue à force d'observation et de très gros plans scrutateurs, est la figure la plus usitée: ... Le pouce se raidit, affreusement long, spatulé, et s'appliqua contre l'index. Ainsi, la main prit soudain une expression simiesque et crapuleuse**.
L'effet dévastateur du zoom transforme la main en monstre qui échappe de temps en temps à la volonté de son maître. L'être est ramené à son état de nature, hors de toute retenue et Colette le relie (à la différence de Bataille) à une dimension psychologique en esquissant des sonorités nocturnes constituées de bruits ambiants, avec de brusques retours sur le corps du conjoint***. Les détails abjects, qui échappent à toute analyse, déteignent sur l'image du marié, balayent son identité civilisée au profit d'une réalité inconsciente, bestiale, propice au dégoût****.

* Cet article de Juliette Feyel consacré au corps hétérogène chez Bataille va dans le même sens. Voir aussi, sur le blog du Jardin des supplices, les notules qui présentent l'Informe.
** Colette, la Femme cachée, Gallimard, Folio, 1974 (édition revue par l'auteur en 1951).
*** Je ne peux m'empêcher de songer à une version morale et conjugale du film Sleep (1963). Colette montre à merveille la puissance évènementielle que prend chaque geste dans l'assoupissement, ce qu'exprime aussi Warhol par le temps dilaté et le plan fixe.
**** Un parallèle s'impose ici avec la photographie célèbre de Jacques-André Boiffard, le Gros orteil, reproduite en 1929 dans le numéro six de Documents. Mais Boiffard mérite à lui seul une notule, voire plusieurs...