28 août 2009

Regarder à travers, humeur provinciale 2/2


Dans ces musées mastodontes, la lisibilité très relative des œuvres laisse parfois pantois: présentation cumulative, exiguïté paradoxale*, à contrario des foulées titanesques en direction des collections, transparences des vitrines dans lesquelles on se mire conduisant à des effets de collages, de dilution, d’anthropomorphisme touristique. Au Louvre, on s’interrogera à loisir sur la présence des vénitiens à proximité de la Joconde alors que les autres Leonardo, les meilleurs, sont relégués dans la galerie. Mais ce n’est qu’un exemple, et le visiteur contemporain, dira-t-on, doit se sentir soulagé de n’être pas confronté à de trop nombreux étagements de cimaises. On se contentera d’une longue-vue pour admirer certains Véronèse placés en altitude.
Ajoutons la foule, à laquelle nous participons, avec laquelle nous ne pouvons qu’accomplir les mêmes gestes d’évitement : l’affluence empêche toute position individuelle ou supposée telle.
Ce n’est sinon une découverte tardive, du moins un constat perclus d’évidences : je recherche dans une visite muséale un espace mental. J’ambitionne, et c’est très illusoire, une perméabilité qui enrichisse, prolonge, déclenche mes rêves. Or, j’ai pris la mesure de ma propre inanité, silhouette parmi les passants. Comme l’écrivait Baudelaire, il n’est pas donné à chacun de prendre un bain de multitude : jouir de la foule est un art.**
Cela se résumerait peut-être à une question d’amour-propre… Plus qu’un temps de l’absence***, il s’agirait pour moi d’un temps de la profusion et de l’oblitération, de l’obstacle qui mettrait à l’épreuve, comme jamais, nos facultés de résistance. Pour soi, on tente cependant d’alimenter une mémoire, de façonner jour après jour quelque chose qui s’apparenterait à une compréhension personnelle, voire même à une leçon de vie…
J’ai recherché longtemps ce que la visite au Louvre avait pu m’apporter, sinon une certaine rage****. On laissera à certains photographes notoires le rôle ambigu de se moquer du touriste tout en ayant l’assentiment des grandes institutions. On s’interrogera aussi sur la nécessité, dans ces conditions, du réel, de l’œuvre en tant qu’objet plutôt que d’une présentation virtuelle. Au mot culture, souvent galvaudé, politisé et monnayé, je préfère celui de curiosité qui évoque un état actif et critique.

* On objectera que le phénomène n’est pas nouveau, que les grands musées anglo-saxons ou le Centre Pompidou obéissent aux mêmes règles. Paris n’est-elle pas depuis Haussmann une ville spectacle soigneusement mise en scène ?
** Entre les vitrines du musée du quai Branly.
*** Les Foules, dans les Petits poèmes en prose. On peut y trouver en filigrane, et sans aucune notation péjorative, sa définition de la modernité. Mais quelques pages précédentes (le Chien et le flacon) démentent presque cette assertion : la foule est aux yeux de Baudelaire un sujet poétique auquel il dénie toute faculté esthétique.
**** Terme utilisé par Olivier Deprez et qui recouvre aussi, je le suppose, un état plus personnel.
***** Et l'envie, la matière de quelques pastilles...