15 mars 2009

A propos de ROKKÔ, d’Olivier Deprez 2/3

En quelques hypothèses réfutables et non classées.
Le travail d’Olivier Deprez ne doit pas seulement s’observer à l’aune de son projet d’images animées, mais en tant qu'agencements formels et narration plastique.

Hypothèse 1
On relève trois types de représentations :
  • Celles qui décrivent, de façon souvent partielle, l’espace architectural.
  • Les images "figures ou figurines".
  • Les espaces intérieurs avec mobilier cultuel qui créent un lien avec le personnage/visiteur assis.
O. Deprez semble également introduire des vues « semi-figuratives » qui induisent un doute sur leur compréhension mais répondent par analogie(s) aux représentations de la chapelle. La main du visiteur montrée en gros plan annonce en même temps les images-citations recadrées d’après Hokusaï.

Hypothèse 2
Les gestes et postures des personnages sont, au premier regard, les ressorts d’une narration conventionnelle mais absorbés par les grilles ou lignes directionnelles qui prolifèrent dans les autres images.

Hypothèse 3
Protagonistes apparents, les figures humaines ou figurines arrêtent l’espace, le figent plus qu’elles ne l’occupent. Le lieu-personnage embrasse tous les autres : les figures apparaissent en plan rapproché par opposition aux vues architecturales. Cet espace à dimensions intimes les dépasse : on ne peut l’appréhender dans sa totalité. La perception humaine, limitée dans ses organes comme dans son appréhension conceptuelle ou spirituelle, nous en empêche.

Hypothèse 4 (qui contredit la précédente)
La fragmentation de l'espace architectural illustre les faibles capacités humaines de globalité, mais tentent aussi d'indiquer les proportions "humaines" de l'édifice, ce lieu comme espace de recueillement.

Hypothèse 5
Si l’on en croit la dernière vue qui évoque une projection graphique plus qu’une représentation de l’espace réel en plongée, l’architecte serait le seul à posséder cette vision globale comme point de vue et comme intentions, mais pas totale, évidemment.

Hypothèse 6
Les figurines (femme typique de l’Ukiyo-e ou maneki-neko ), ne se raccordent pas directement à l’espace architectural de la chapelle. Elle apparaissent de ce fait comme des images mentales différées produites par le protagoniste installé sur un banc de la chapelle. Les figurines maneki-neko, accumulation de statuettes de chat à la patte levée, renvoient à un espace de vente destiné aux touristes.

Hypothèse 7
L’espace temps conféré par la succession d’estampes construirait une déambulation à hauteur d’homme, sauf deux vues plongeantes et des images perturbatrices qui nous forcent à la concevoir comme une projection sensible et ne nous permettent pas complètement de nous identifier au personnage. Cette circulation imaginaire (pour l’architecte, le cheminement par des espaces intermédiaires*) constitue le but avoué de l’auteur/visiteur. Le déplacement bien que non linéaire, interrompu par les juxtapositions d’images et la fragmentation des cadrages montre les stations (gravures d’un état lisible) et des espaces intermédiaires, mentaux, informulés, interstices entre chacune des estampes.

Hypothèse 8
Les représentations architecturales rappellent presque toutes le modernisme occidental tout en montrant le bâtiment d’Andô, oriental nourri d’architecture européenne du XXe siècle : l’architecture d’Andô s’appuie sur des volumes simples qui, selon la luminosité et l’angle de vue, infirment ou confirment l’espace perspectif occidental.

Hypothèse 9
Les trames se réfèreraient aux Carceri de Piranèse (dévoiement par excès de l’espace perspectif en même temps que répertoire formel), une influence d’Andô que rappelle Deprez.

Hypothèse 10
Des représentations occidentales et japonaises s’imbriquent, données de façon littérale par une perspective conique centrée qui évoque l’origine brunelleschienne et la planéité, le rabattement des plans qu’impose l’oblique et plus encore la diagonale.

Hypothèse 11
Le cadre de chaque gravure, convention surtout pratiquée en taille d’épargne et que Deprez reprend à son compte institue un premier plan, une sorte de fenêtre, comme un rappel vasarien. Cet étagement, cadre qui creuse l’espace avant l’apparition, l’émergence de l’image, se retrouve par exemple dans les peintures de Giacometti.

Hypothèse 12
A plusieurs reprises, O.D emploie la perspective oblique, paroxysme de l’espace perspectif qui a pour effet de déformer l’objet représenté. Ceci semble introduire une subjectivité supplémentaire qui, en réalité, ne l’est pas davantage que tout autre espace représenté. Ces déformations peuvent se rapporter à d’autres influences possibles de l’artiste (cinéma allemand des années 1920, Expressionnisme graphique, Constructivisme russe, photographies de Rodchenko,… ??)…

Il s’agirait, en somme, d’une histoire d’espaces multiples.


* Voir le texte programmatique d'Olivier Deprez.