15 février 2009

Bresson rappelle dans cette interview quelques-uns de ses principes, et notamment cette fameuse opposition entre le cinéma et le cinématographe. Le vocable cinéma n’est pas à ses yeux une simple abréviation langagière, et encore moins un retour à son origine*, il traduit plutôt une posture qui consiste à singer d’autres formes artistiques comme le music-hall et le théâtre… Le graphein comporte évidemment une connotation presque aristocratique ainsi qu’une évidence étymologique. Le cinématographe a son écriture propre, ce qui explique chez Bresson le souci de s’affranchir de la théâtralité (qui subsiste toutefois, mais malgré lui, dans les Dames du bois de Boulogne) et de la préséance des acteurs qui deviennent les modèles ductiles du cinéaste.
Il est à noter, pourtant, que les références de Bresson ont une origine plastique et que les recours à l’art pictural, dans cet entretien, sont fréquents, comme si cette influence-là était admise voire même assimilée au point de n’être pas discutable…
L’argument repose toujours sur l’écriture qui permet au peintre d’interpréter sans dénaturer , d’élaborer, de façonner, d’établir son propre langage sans corrompre l’œuvre dont il s’inspire…
Il apparaît que cette théorie énoncée en 1965 ne concerne plus guère certaines formes artistiques volontairement corruptives, comme les arts multimédia, les films situationnistes ou bandes réalisées, à la même époque, à partir des manifestations actionnistes..
Pasolini établit lui un système cinématographique essentiellement frontal, qui est issu des œuvres peintes qu’il aime, mais également de la façon dont il les regarde. Son ars (manière de faire) cinématographique serait la conséquence de ce double filtre.
Je m’interroge actuellement sur la différence qui peut exister entre le cinéma(tographe), et cette mémoire qu’il charrie, à la fois incontournable, forte et encombrante, et la pratique de la vidéo à laquelle viennent s’agglutiner, grâce à une démocratisation des moyens de production, tous les médiums de l’image et du son. L’opéra virtuel, expression à laquelle, peut-être, nous aurions pu préférer celle d’opéra numérique, accepte l’intrusion du texte et revendique une spécificité issue de la rencontre mouvante de ces moyens littéraires, sonores et visuels. La vidéo, comme procédé de reproduction et comme création filmique, a sans doute balayé le cérémonial cinématographique, une spécificité qui a pris, via Bresson et quelques autres, force d’éthique.
*Cinéma vient du grec kînema qui signifie mouvement.